Deuxième
étape: North Bay (Ontario) – 24 novembre 2016
Une tempête de neige a commencé. Les autobus scolaires sont en
retard.
L’école est grande (750 élèves) à la dimension de la ville (53 600
habitants).
Je refais mon topo de la veille devant un groupe de 16 jeunes
sélectionnés pour ce projet. Ils forment quatre groupes; certains sont
visiblement gênés. Les tablettes leur servent alors de refuge. Tout le monde
s’y met, chacun à son rythme.
Un jeune garçon semble avoir du mal à communiquer avec deux gars qui
parlent avec assurance. Sa voisine aussi est gênée. Le garçon ne prend pas de
pause; il tape sur sa tablette. Quand le professeur lui demande ce qu’il fait,
il lit les lignes qu’il vient d’écrire. Il y a là plein de bonnes idées. Il
semblait en dehors du groupe, il y participait en plein, à sa manière. Sa
lecture lui permet de se fondre dans son équipe.
J’ai repris le plan classique qu’on propose au Québec pour un récit:
situation initiale, élément déclencheur, péripéties, dénouement et situation
finale. Plusieurs élèves viennent me demander ce qu’est une péripétie.
Dans cette école, on sent davantage l’anglais. À la première
occasion, les jeunes parlent entre eux en anglais. Leur vocabulaire est d’abord
anglais. J’apprends avec eux que strawberry
blond ne signifie pas blond fraise.
Ils parlent des scientistes...
Tout le monde s’instruit.
Le facteur neige est sensible. Il y a de l’électricité dans l’air.
Le niveau sonore augmente, mais ça reste supportable. Je suis là pour les
amener à écrire une bonne nouvelle en français, pas pour faire la discipline.
Je repars à 11 h 30, mon avion décolle à 13 h 30.
J’ai l’impression de n’avoir rien fait.
Tout ces transports, avions, taxis, voiture et hôtel, pour quelques
mots jetés sur des feuilles volantes. Ont-ils appris quelque chose, à part
«sens de l’orientation», «lamproie», «blond vénitien» et bien sûr «péripétie»? C’est
dérisoire, mais une langue se construit ainsi, par petites touches. J’aurais
aimé leur transmettre plus, mais comment faire en deux heures, avec seize
adolescents excités par les flocons qui tombent? Je me dis que la prochaine
fois, je leur lirai une histoire. Pas une que j’ai écrite, mais une nouvelle de
Ray Bradbury, de Dino Buzzati ou d’Isaac Asimov.
Dans l’avion, je bois un verre de vin blanc. C’est gratuit sur
Porter Airlines.
Samedi
26 novembre 2016 – Mandeville (Lanaudière)
Retour
au chalet pour la fin de semaine. Il ne se passe pas une journée sans qu’on
parle de la langue française dans les médias québécois. C’est toujours sain et
rassurant, mais souvent agaçant, redondant. Ce week-end se déroule le sommet de
la francophonie à Madagascar, alors les nouvelles se multiplient. Je commence à
archiver tous les liens qui traiteront de ce sujet. Ça démarre vite.
Je
vis à Montréal depuis octobre 1992 et cette lutte quotidienne me fascine.
L’existence même du peuple québécois est un miracle et je me plais à le répéter
aux élèves lors d’une animation que je donne sur la science-fiction et le
Québec du futur. Quand je leur demande quels sont les éléments caractéristiques
de notre province vis-à-vis du reste du monde, ils me répondent invariablement d’abord
la poutine, puis les quatre saisons, le sirop d’érable, l’hiver, l’accent. Le
français arrive ensuite, et encore, je dois parfois insister pour qu’ils y pensent.
Voyagent-ils assez? Sont-ils déjà sortis de leur village ou de leur quartier?
Pas tous.
Une
enseignante de l’école primaire Montcalm dans le quartier St-Michel, au nord de
Montréal, m’expliquait que le boulevard métropolitain représentait pour ses élèves une
frontière qu’ils ne franchissaient presque jamais. Ceux qui, comme moi,
venaient d’au-delà, arrivaient d’un ailleurs mystérieux. J’ai passé trois mois dans cette école avec des jeunes d’origine haïtienne, marocaine, chinoise,
péruvienne, russe et même des pures
laines. Ils se connaissaient depuis la maternelle et parlaient tous un
excellent français. Nous avons réalisé un recueil de textes qui plongeaient
dans l’histoire de leur quartier, jusqu’à 50 ans en arrière. Fascinant. À
défaut de les faire voyager loin, je les ai emmenés dans un passé qui leur
semblait souvent très reculé.
À suivre...
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À suivre...
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