Jeudi
1er décembre 2016, au bar du Crown and Beaver Pub (North Bay)
On
a passé du temps à installer Word online pour que je puisse y accéder. Ça
semble fonctionner. Une fois les élèves placés, une professeure venue donner un
coup de main pour l’informatique fait remarquer qu’il leur suffirait de dicter
leur texte au logiciel, pour qu’il l’écrive à leur place. Étrange proposition
et bien mauvaise idée pour apprendre à écrire. Mais à l’heure de l’intelligence
artificielle, que faire de toutes ces règles de grammaire désuètes et inutiles?
Je
leur ai parlé d’incipit, sans grande réaction. Je leur ai lu deux très courtes
nouvelles tirées des Chroniques
martiennes de Ray Bradbury. J’ai découvert ce livre quand j’avais leur âge,
en France, grâce à une jeune professeure qui adorait la SF. J’aime la
simplicité de ces histoires. Ça vieillit très bien, je pense, mais les élèves
n’ont pas réagi à ma lecture, comme s’ils n’avaient rien compris.
«C’est
le brouillon, monsieur!» Oui, bien sûr, on corrigera plus tard. Leurs niveaux
sont plutôt bons, car ils ont été sélectionnés pour participer aux ateliers. La
logique aurait voulu que toute une classe, sans sélection aucune, écrive des
histoires. Le but est d’améliorer leur français, à tous et toutes. Mais je n’ai
aucun contrôle là-dessus - chaque professeure décide.
L’anglais
leur vient plus naturellement pour s’expliquer. Où en sera le français dans 20
ou 50 ans? Il existe près d’un million de francophones en Ontario, mais combien
de parents le parlent-ils chaque jour avec leurs enfants?
Je
leur explique que leur texte ne devra pas dépasser 2000 mots. Vu la complexité
de certains plans, ça va être dur de se limiter. Mais ils sont là pour écrire;
on avisera en temps utile.
Vendredi
2 décembre 2016, Verner (Ontario)
Mon
emballement des deux premières visites se refroidit devant la réalité de leur
prose. L’écriture les place au pied du mur. Certains bloquent littéralement
devant la page vide. Elle n’est pas blanche, car ils écrivent sur leur
tablette. Je m’assieds avec chaque groupe et passe plus de temps avec celui ou
celle qui tournent en rond. J’explique l’utilité de rajouter des adjectifs, des
descriptions, des détails. Il faut décoller du simple synopsis. On veut plus
qu’une série de faits. On doit voir le film de leur imagination, que les images
jaillissent grâce à leurs mots. Ils comprennent vite et se remettent à
l’ouvrage, même si ça leur demande un effort.
La
récompense arrive à la fin de la période, en voyant certains présenter à leur
professeure les six lignes qu’ils ont pondues. Leur visage rayonne de fierté.
C’est clairement un exploit pour eux. Marie-Josée sourit. J’ai gagné ma
journée.
La
matinée passe très vite. On doit finir une demi-heure plus tôt, car ils
reçoivent la visite des pompiers venus chercher le gros chèque de l’argent
collecté pour des paniers de Noël.
Je
repars en écoutant Marie-Chantal Toupin et Bobby Bazini sur Le Loup FM, La voix du Nord.
Vendredi
2 décembre 2016 – Escale à Toronto
Je
relis La Chute d’Albert Camus pendant
mon voyage. J’ai parfois l’impression d’être comme ces jeunes qui butent sur
des vers du Corbeau et du renard.
Sans mentir, si
votre ramage
Se rapporte à
votre plumage,
Vous êtes le
phénix des hôtes de ces bois.
Ou ce début de fable bien connue:
Autrefois le
Rat des villes
Invita le Rat
des champs
D’une façon
fort civile,
À des reliefs
d’ortolans.
Jean
de La Fontaine peut parfois paraître compliqué à déchiffrer pour les lecteurs
et les lectrices d’aujourd’hui (il faut bien sûr relativiser, car on publie en
France beaucoup de poésie classique).
Moi
aussi, je trouve parfois le roman de Camus un brin ardu. Bien sûr, cela exige
plus de concentration qu’un gazouillis, mais il y a aussi la façon de dire et
de penser qui a évolué. Le vocabulaire m’est inconnu par bouts. Les références
vieillissent, mais la longue escale de Toronto m’a donné le temps de passer au
travers. J’adore ce roman.
À suivre bientôt...
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