24 octobre 2008

Extrait n°1

Les Allergiks, ça commence ainsi:
Vincent comprend les décrocheurs. Il y a des soirs où il ferait volontiers comme eux : tout planter là, bosser chez MacDo et se laisser vivre en rigolant avec les copains. L’avenir est trop loin pour le captiver.
Dire qu’on est juste mardi et que l’année scolaire ne fait que débuter…
En poussant le tourniquet de la station de métro Mont-Royal, il pense à sa mère. Elle travaille à la maison, mais à ce moment-ci, passé cinq heures, elle a déjà commencé à boire l’apéro, comme elle dit. L’idée de la retrouver en train de parler un peu trop fort angoisse Vincent. Il faut qu’il explose la boule de nerfs qui s’est formée dans son ventre.

Il lève la tête, observe l’interminable escalier mécanique qui monte vers la lumière du jour, mais se dirige vers celui qui descend. Il s’assure que son sac est bien d’aplomb, inspire un grand coup et s’élance à contresens.

- ON SE POUSSE !

Il hurle un bon coup pour que les voyageurs se tassent. Tous ces bornés qui s’acharnent à croire qu’on doit toujours utiliser un escalier qui va dans la même direction que vous. Vincent déteste qu’on lui impose une voie à suivre. Les sens uniques, c’est pour les lâches.

- ATTENTION !

Surtout ne pas ralentir, ça fait perdre de l’altitude. Garder son élan, augmenter son rythme et si possible, grimper deux marches à la fois. La majorité des voyageurs se tiennent immobiles sur leur droite. Seuls quelques irréductibles s’obstinent à occuper la partie gauche de l’escalier roulant : ceux-là sont des obstacles qu’il faut surmonter. C’est la partie la plus excitante.
- YEEEHAAAAA !
Vincent se trouve déjà à mi-parcours, quand un obèse lui barre la voie. Le gros somnole au milieu d’une marche avec ses écouteurs sur les oreilles. Il ne voit pas Vincent qui arrive sur lui à la vitesse d’un missile en quête de sa cible. Il ne l’entend pas non plus.

Vincent bondit dans le petit espace demeuré libre entre l’éléphant sur deux jambes et la rampe. Il se projette de profil pour gagner de la place. Il force le passage sans ménagement. Son sac bourré de livres heurte le type qui est surpris. Il cherche d’où est venue cette attaque. Devant ? Derrière ? Le sprinteur à l’envers est déjà loin.

Même au bord de l’asphyxie, Vincent accélère encore.

Il achève sa course en répétant son rugissement bestial, mélange de cri maori et hurlement de cow-boy de rodéo.

- YEEEEEHAAAAA !

Pendant trente secondes, Vincent souffle comme un taureau dans l’arène. Il a oublié ses soucis et s’apprête déjà à recommencer. Il est chaud, il est prêt. Il va fracasser le record du monde de la catégorie. L’irruption de deux membres de la sécurité du métro refroidit ses ardeurs.
- EH TOI, LE CHAMPION !

Vincent n’attend pas de savoir ce qu’ils lui veulent. Depuis le temps, ils se connaissent. Il leur adresse un bye-bye de la main, pousse la porte et sort sur la place animée.

Il est arrivé chez lui. Ça grouille de vie.
***
Vincent connaît par cœur la faune de la place Gérald Godin, au bord de l’avenue Mont-Royal. Il a grandi dans ce quartier qu’on appelle Le Plateau. C’est son monde.

On trouve de tout ici : des amis au Jean Coutu, un stand de taxis haïtiens, un petit marché, des quotidiens gratuits, des vélos volés, une bibliothèque, des vieilles avec leurs pigeons, des chiens qui pissent, des quêteux, du pot et autres spécialités hallucinogènes locales, des musiciens et des flics qui rôdent en mordant dans leurs muffins achetés au Café Noir.

Vincent s’installe sur un muret en ciment sous les jeunes érables. Il salue quelques connaissances. Il se sent bien.

- Nan merci, répond-il à un gars avec une casquette qui lui demande s’il a besoin de quelque chose.
Il demeure ainsi quinze minutes, rêveur. Les bus s’arrêtent, se vident, font le plein, repartent. Des flots de travailleurs surgissent par centaines des profondeurs. Comment font ceux qui vivent à la campagne ? On doit y mourir d’ennui.
Il vérifie l’heure sur son cellulaire, se dresse d’un bond. Sa mère a déjà dû siffler la moitié de sa bouteille de sauvignon.

...
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