Lundi 1er mai 2017 – École Holy Family — Whitehorse, Yukon.
Je
commence aujourd’hui une semaine d’ateliers dans les écoles primaires et
secondaires francophones de Whitehorse. C’est ma première visite en territoire
du Yukon, qui est, après le Québec et le Nouveau-Brunswick, le 3e
territoire ou province pour le nombre de francophones. Bien sûr, la population
globale de 38 000 habitants relativise le nombre de locuteurs de la langue
de Miron, mais ça reste un fait notable.
La
communauté francophone est très active: un hebdomadaire, L’Aurore boréale et Ici Yukon
pour Radio-Canada qui diffuse des émissions en français.
Ce
matin, à 5h, réveil brutal causé par un tremblement de terre. Ça recommence à
trembler à 7h30. Le centre-ville reste coupé d’électricité pendant 90 minutes.
On est peu de choses, dans toutes les langues.
L’école
Holy Family est anglophone avec un programme de français intensif. Je rencontre
des classes de 5e, 6e et 7e années. Les élèves
ont lu Le Voleur de sandwichs en
classe, ou plutôt, c’est leur enseignante qui leur a lu. Leur compréhension de
mon accent et de mes expressions n’est pas aisée. La professeure reformule
souvent mes questions comme mes réponses aux leurs. Ça demande de l’attention
et beaucoup d’énergie.
Danielle Bonneau, agente des partenariats culturels,
Programmes de français, au Département de l’Éducation du Yukon, coordonne toute
ma semaine. Elle est Québécoise, vit ici avec son mari Jean-Marc et leurs deux
fils depuis 2002. Ils adorent la vie yukonnaise. Ils sont chez eux à
Whitehorse, très impliqués et actifs. Elle m’explique que mon intervention dans
cette école est importante, car elle permet de mettre des élèves qui apprennent
le français avec un écrivain qui l’écrit. Même s’ils me comprennent mal, ils me
comprennent quand même. C’est ainsi que la francophonie survit, voire se
développe. Ce qui semble le cas en ville. D’après cet article du Devoir datant
du 24 juillet 2013, «Plus il y a de services en français
donc, plus la communauté francophone du Yukon grandit et compte de nouveaux
arrivants. En 2011, 4,8 % de la population du Yukon disait avoir le
français comme langue maternelle. Au total, 4510 personnes parlent français,
soit 13 % de la population yukonnaise. « Le Yukon a donc le plus fort
pourcentage de francophones et de personnes qui peuvent soutenir une
conversation en français dans l’ensemble de la francophonie minoritaire
canadienne après le Nouveau-Brunswick », constate Nancy Power, directrice des
communications de l’Association franco-yukonnaise.»
Au café Baked
sur Main street, où j’écris ces lignes, ça parle beaucoup en français. Je suis
à 5500 km de Montréal et cette vitalité me surprend autant qu’elle me
ravit.
Je lis l’essai La langue affranchie, se raccommoder avec
l’évolution linguistique de la même Anne-Marie Beaudoin-Bégin citée
précédemment. Son discours me plaît, car elle y défend un français vivant,
créatif, moderne. C’est pour elle la seule issue pour le protéger face à
l’anglais. Pour ne pas écœurer les jeunes avec le mauvais français et ses
fautes, on devrait se permettre plus de folie, de liberté. Cessons de nous
accrocher à une langue figée et trop compliquée. Osons autant que les
anglophones le font.
La lire à Whitehorse est un vrai
paradoxe. Nous ne sommes vraiment pas ici dans la même problématique québécoise.
On trouve ici des Français, des Marocains, des Québécois, des Manitobains…
Mardi 2 mai
2017 – Club de lecture Les p’tits yeux pointus – Whitehorse
Apprenant ma venue en ville par
l’hebdomadaire francophone, Sandra St-Laurent m’a invité à participer à son
club de lecture pour tout petits. Après une grosse journée de sept animations à
l’école Émily Tremblay, je me retrouve à la bibliothèque de Whitehorse. Il y a
là six mamans et une douzaine d’enfants entre quatre et huit ans. Ils ont lu Aux toilettes ou Le voleur de sandwichs. Ils viennent surtout du Québec, mais une
mère est Belge. On fait un pique-nique et je lis mon album, puis on participe à
un jeu et je réponds aux questions des enfants.
C’est ce type d’activité qui donne
du tonus à la francophonie. Après le secondaire, ces enfants iront à
l’université à Vancouver, en anglais. En dehors de chez eux, toutes leurs
activités sont en anglais, sauf la piscine pour des raisons de sécurité. Sandra
nous explique qu’elle s’est battue pour ça. Son dynamisme est communicatif.
Elle travaille à l’association franco-yukonnaise, visiblement très active, et
participe à un autre club de lecture adulte, que je rencontrerai jeudi. Les
enfants échangent facilement avec leurs amis francophones, ils donnent leur
point de vue sur les livres. Je suis leur premier auteur rencontré en chair et
en os. Ils sont ravis, moi aussi.
Le français semble vivre un état
de grâce au Yukon.
Vendredi 5 mai
– école F.H. Collins – Whitehorse
Ma semaine yukonnaise s’achève
dans une école secondaire. Les élèves sont peu nombreux dans chaque groupe,
mais les échanges prennent de la hauteur. Après cette journée, nous faisons la
tournée des vernissages dans trois galeries, en compagnie d’enseignantes. La
réflexion de l’une d’elles me fait penser à d’autres situations que j’ai
connues. «Ici, tout est à deux heures d’avion ou deux jours de voiture.»
L’isolement reste la meilleure manière de se préserver de l’influence d’une
autre langue. Le même phénomène s’observe à Hearts et à Verner, en Ontario.
Pour vivre heureux, vivons cachés ? Ce n’est pas la solution, bien sûr,
mais le protectionnisme fonctionne à sa manière.
Ma venue m’a valu une pleine
page dans l’hebdomadaire francophone L’Aurore
Boréale et trois entrevues à Radio-Canada,
dont une en anglais. L’éloignement comme la rareté sont source
d’exposition.
Prochain épisode : la
France et Toronto…