06 juillet 2019

Journal de ma francophonie #11 – Whitehorse (Yukon)

Lundi 1er mai 2017 – École Holy Family — Whitehorse, Yukon.
Je commence aujourd’hui une semaine d’ateliers dans les écoles primaires et secondaires francophones de Whitehorse. C’est ma première visite en territoire du Yukon, qui est, après le Québec et le Nouveau-Brunswick, le 3e territoire ou province pour le nombre de francophones. Bien sûr, la population globale de 38 000 habitants relativise le nombre de locuteurs de la langue de Miron, mais ça reste un fait notable.
La communauté francophone est très active: un hebdomadaire, L’Aurore boréale et Ici Yukon pour Radio-Canada qui diffuse des émissions en français.
Ce matin, à 5h, réveil brutal causé par un tremblement de terre. Ça recommence à trembler à 7h30. Le centre-ville reste coupé d’électricité pendant 90 minutes. On est peu de choses, dans toutes les langues.
L’école Holy Family est anglophone avec un programme de français intensif. Je rencontre des classes de 5e, 6e et 7e années. Les élèves ont lu Le Voleur de sandwichs en classe, ou plutôt, c’est leur enseignante qui leur a lu. Leur compréhension de mon accent et de mes expressions n’est pas aisée. La professeure reformule souvent mes questions comme mes réponses aux leurs. Ça demande de l’attention et beaucoup d’énergie. 
Danielle Bonneau, agente des partenariats culturels, Programmes de français, au Département de l’Éducation du Yukon, coordonne toute ma semaine. Elle est Québécoise, vit ici avec son mari Jean-Marc et leurs deux fils depuis 2002. Ils adorent la vie yukonnaise. Ils sont chez eux à Whitehorse, très impliqués et actifs. Elle m’explique que mon intervention dans cette école est importante, car elle permet de mettre des élèves qui apprennent le français avec un écrivain qui l’écrit. Même s’ils me comprennent mal, ils me comprennent quand même. C’est ainsi que la francophonie survit, voire se développe. Ce qui semble le cas en ville. D’après cet article du Devoir [1]datant du 24 juillet 2013, «Plus il y a de services en français donc, plus la communauté francophone du Yukon grandit et compte de nouveaux arrivants. En 2011, 4,8 % de la population du Yukon disait avoir le français comme langue maternelle. Au total, 4510 personnes parlent français, soit 13 % de la population yukonnaise. « Le Yukon a donc le plus fort pourcentage de francophones et de personnes qui peuvent soutenir une conversation en français dans l’ensemble de la francophonie minoritaire canadienne après le Nouveau-Brunswick », constate Nancy Power, directrice des communications de l’Association franco-yukonnaise.»
Au café Baked sur Main street, où j’écris ces lignes, ça parle beaucoup en français. Je suis à 5500 km de Montréal et cette vitalité me surprend autant qu’elle me ravit.
Je lis l’essai La langue affranchie, se raccommoder avec l’évolution linguistique de la même Anne-Marie Beaudoin-Bégin citée précédemment. Son discours me plaît, car elle y défend un français vivant, créatif, moderne. C’est pour elle la seule issue pour le protéger face à l’anglais. Pour ne pas écœurer les jeunes avec le mauvais français et ses fautes, on devrait se permettre plus de folie, de liberté. Cessons de nous accrocher à une langue figée et trop compliquée. Osons autant que les anglophones le font.
La lire à Whitehorse est un vrai paradoxe. Nous ne sommes vraiment pas ici dans la même problématique québécoise. On trouve ici des Français, des Marocains, des Québécois, des Manitobains…

Mardi 2 mai 2017 – Club de lecture Les p’tits yeux pointus – Whitehorse
Apprenant ma venue en ville par l’hebdomadaire francophone, Sandra St-Laurent m’a invité à participer à son club de lecture pour tout petits. Après une grosse journée de sept animations à l’école Émily Tremblay, je me retrouve à la bibliothèque de Whitehorse. Il y a là six mamans et une douzaine d’enfants entre quatre et huit ans. Ils ont lu Aux toilettes ou Le voleur de sandwichs. Ils viennent surtout du Québec, mais une mère est Belge. On fait un pique-nique et je lis mon album, puis on participe à un jeu et je réponds aux questions des enfants.
C’est ce type d’activité qui donne du tonus à la francophonie. Après le secondaire, ces enfants iront à l’université à Vancouver, en anglais. En dehors de chez eux, toutes leurs activités sont en anglais, sauf la piscine pour des raisons de sécurité. Sandra nous explique qu’elle s’est battue pour ça. Son dynamisme est communicatif. Elle travaille à l’association franco-yukonnaise, visiblement très active, et participe à un autre club de lecture adulte, que je rencontrerai jeudi. Les enfants échangent facilement avec leurs amis francophones, ils donnent leur point de vue sur les livres. Je suis leur premier auteur rencontré en chair et en os. Ils sont ravis, moi aussi.
Le français semble vivre un état de grâce au Yukon.
Vendredi 5 mai – école F.H. Collins – Whitehorse
Ma semaine yukonnaise s’achève dans une école secondaire. Les élèves sont peu nombreux dans chaque groupe, mais les échanges prennent de la hauteur. Après cette journée, nous faisons la tournée des vernissages dans trois galeries, en compagnie d’enseignantes. La réflexion de l’une d’elles me fait penser à d’autres situations que j’ai connues. «Ici, tout est à deux heures d’avion ou deux jours de voiture.» L’isolement reste la meilleure manière de se préserver de l’influence d’une autre langue. Le même phénomène s’observe à Hearts et à Verner, en Ontario. Pour vivre heureux, vivons cachés ? Ce n’est pas la solution, bien sûr, mais le protectionnisme fonctionne à sa manière.
Ma venue m’a valu une pleine page dans l’hebdomadaire francophone L’Aurore Boréale et trois entrevues à Radio-Canada, dont une en anglais. L’éloignement comme la rareté sont source d’exposition.

Prochain épisode : la France et Toronto…


[1] http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/383600/le-yukon-d-hier-et-d-aujourd-hui-une-etonnante-vitalite-francophone

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